Ce tableau, au premier abord, parait très vide;
c' est un peu comme le silence loin du bruit: si l'
on tend l' oreille, on s' aperçoit qu'
en fait, il est aussi bien peuplé de sons intérieurs
qu' extérieurs;
Et pour découvrir ce qui peuple ce tableau, je
vous invite à retracer sa genèse de création.
Ce tableau est la rencontre de 3 influences:
-1-La première étant biensûr, celle
de ' B ' Commanditaire; pour se faire, je me suis
basé sur son premier ressenti des esquisses, qui
avait fait surgir les mots clefs suivants;
* Abstrait
* une certaine Uniformité
* pas de formes verticales trop prononcées
* horizon infini
* un Bleu suggérant l' Océan
* une inspiration en écho avec la vue du balcon
-2- la seconde influence est sa sensibilité au
peintre franco-chinois Zao Wou-ki, peintre multifacette,
et donc, plus particulièrement, les toiles qu'
il m' avait sélectionnées; Les lignes
directrices pourraient être les suivantes :
* une écriture de l' Espace, comme des Paysages,
paysages initialement ré ;els, mais dont il extrait
l' Essence la plus Abstraite, tant matérielle
qu' immatérielle, où Matière
et Lumière se fondent au travers de l' Expression
de la Texture,
* une sensation de Grand Paysage et d' Immensité
parfois paradoxamement opressante
* une diversité des Textures à toutes les
échelles
* et des contrastes forts, mais non basés
sur la tension entre les couleurs complémentaires
(clair/foncé) |
-3-et troisième influence : ma sensibilité
propre, car je ne suis pas un copiste peignant ' à
la manière de ' ; | J' ai donc suivi cette
quête de l´Abstrait de Zao Wou-ki avec ma
propre écriture, pour créer une sorte de
mandala destiné à faire émerger des
éléments de nos Quêtes;
Par chance, j' ai, tout comme Zao Wou-ki, une fascination
pour la Grand Paysage, pour la Lumière, pour l'
Invisible qui une fois représenté, est perç
comme Abstrait.
Digression: je rappelle que je suis intimement convaincu
que l' Abstrait n' est pas la représentation
de choses imaginaires et sans existence, mais bien au
contraire, une représentation préci se et
fidèle de tout cet Existant que nos yeux ne peuvent
voir, et que notre intuition pressent ;
car l' Intuition, nos antennes, sont à la limite
de ce que la Conscience comprend actuellement; et notre
évolution est ponctuée par chaque gain de
Conscience; cela va de la capacité de l´homme
préhistorique à créer un mot prononçable
pour communiquer un sens d' une personne à
une autre; à la compréhension de l'
espace en 3D grace à la perspective à l'
époque du Quatrocento; ou bien, au Siècle
des Lumières, le développement de la compréhension
par les Sciences pour se libérer des peurs magiques
de tout ce qui est Inconnu. fin de ma digression
et pour en revenir à Zao Wou-ki, je dirais que
la perception de sa Lumière, son Air ( élément)
est plus dense et matérielle alors que celle à
laquelle je suis sensible, qui est plus aquatique; mais
Ça c' est inné, et je pense qu'
essayer de la changer serait une perte de sincérité.
Chacun a sa propre écriture, sa propre poésie.
et Donc, entrons dans le vif du sujet : sur la base de
ces 3 influences, j' ai rassemblé ce que m'
évoqu aient les Îles Canaries, pourquoi je
m' y sentais si bien, comme de si nombreuses personnes,
et paradoxalement à la fois apaisé et stimulé
à la fois. ( une Paix extrêmement dense en
Nuances).
Mais le but n' était absolument pas de faire
une “ vue de ” ( la photographie le fait très
bien) mais au contraire d' aller au delà de
ce que l' on voit;
Car lorsque l' on se perd dans cette vue depuis le
balcon, et dans ce tableau, il apparait une sorte de '
Fascinance ' pour cette Immensité visuelle,
impalpable que l' on a du mal à appréhender:
on est comme invité ou aspiré; toute notre
Curiosité intuitivement aspire à découvrir,
élucider, cerner.
De même cette profondeur, cet horizon inaccessible
qui est parfois même invisible, est aussi diffus
que la limite entre ce que l' on comprend, ce que
l' on appréhende, et ce que l' on pressent;
c' est un chemin d' ouverture d' esprit;
Et cette sensation presque vertigineuse de flotter au
dessus de tout cela qu' offre cette vue , c' est
aussi ce flottement que l' on ressent quand ne sait
pas, ou du moins quand on accepte (l' ego accepte)
de ne pas savoir : c' est le lâcher-prise :
Comment ce tableau crée-t-il cet
effet d' aspiration et de lâcher prise? c'
est grâce à un point clé: une structuration
particulière : la fusion entre la lecture en perspective
et la lecture en vue aérienne : une sorte de perspective
abstraite présentant l' Espace en 4D car elle
place physiquement l' observateur à deux endroits
en même temps.
Commençons maintenant notre Voyage, avec l'
optique Perspective: À première vue, quand
on n' y prend pas garde, ce tableau semble très
uniforme, très simple, voire simpliste et disproportionné
: une toute fine bande blanche en bas, et un dégradé
bicolore de bleu vers le haut; cette sensation de disproportion
est voulue: car c' est nous : une toute petite île
au milieu de l' immensité bleue de l' Océan.
Une des grandes difficultés de ce tableau était
de conserver cette pureté, tout en la peuplant
de cette multitide de présences: c' est exactement
l' expression de la métaphore du Silence qui
est en fait peuplé d' une multitude de sons,
de bruits, d' échos;
Mais quand on accorde son attention à ce tableau,
on commence à y dé ;couvrir une véritable
complexité;
Nous entrons dans le tableau par son coutour blanc, c'
est le premier plan, directement en continuité
avec le mur: c' est une fenêtre, fine comme
la balustrade du balcon; fenêtre tellement proche
de nous que l' on peut ensuite directement basculer
à un second plan de profondeur déjà
lointain: un saut dans le paysage, avec les lignes de
crêtes des collines qui se découpent sur
le ciel: paradoxalement, ce plan moyen donne déjà
une sensation d' immensité; ces lignes de crêtes
forment un pré-horizon, on sait que la terre n'
est pas plate, ( les anciens avaient peur qu' au delà
de ce qu' ils voyaient, il n' y ait rien ( un
autre “ je ne crois que ce que je vois ” )
mais on sait bien qu' il n' y aura pas le vide
intersidéral, derrière ces collines; on
sent que l'horizon réel est au delà
de ces collines, mais comme il est invisible, cela accentue
sa possiblité d' être immensément
loin: concevable mais inacessible.
Globalement, l' horizon n' est plus alors une
ligne mais une sensation, une intuition qui oriente notre
boussole intérieure.
Maintenant, quand on descend dans le d&eacut e;tail de
ces collines, on y voit
* les courbes souples de dunes dorées et cuivrées,
la texture pailletée du sable du désert
saharien grace aux pigments métalliques;
* des pentes douces et asymétriques modelées
par le vent, et qui captent la lumière,
* des ravinements dûs à l' érosion
qui a aussi formé le relief des Canaries,
* et même quelques cheminées volcaniques
avec leurs émissions de fumerolles car nous sommes
en pays volcanique;
-Le long de ce pré-horizon, cette densité
de détails et de matière contraste intensément
avec la transparence précieuse d' un ciel surréaliste
car aux nuances turquoises; cette transparence si particulière
est permise par une technique spécifique : la superposition
de glacis et de vernis alkhyde; il n' y a pas moins
d' une trentaine de couches superposées ( chacune
nécessitant entre 4 et 6 heure de
séchage)
-D' ailleurs, tout ce processus de Création
des Transparences dans ce tableau, est crucial, car c'est
lui qui permet à la Lumière de pénétrer
toutes ces couches et d' en extirper et révéler
chaque couleurs en 3D: c' est la Lumière qui
révèle l' Espace, et nous permet d'
y entrer.
-Lorsque le regard s' &eecute;lève vers le
ciel, nous trouvons ce que nous pouvons interprêter
comme des nuages diffus et lointains, mais aussi des nuages
plus proches , propices à projeter sa rêverie
et son imaginaire;
-De souples et longs mouvements d' ensemble marquent
les différentes profondeurs du ciel, et cela évoque
aussi le souffle du vent qui modèle les nuages.
( le vent est un élément incontournable
de la vie d' ici, car sans vent, les îles seraient
des fournaises, et c' est aussi le vent qui accroche
les nuages sur les reliefs montagneux et nous prodique
leur eau )
-d' où une nouvelle digression, ou plutôt
une déconnection de la perspective européenne:
dans la perspective chinoise comme on la retouve dans
la culture de Zao Wou-ki, la perspective aérienne
est moins accuentée qu' en Europe ( En Europe,
le premier plan est très contrasté, et plus
on regarde dans le lointain, plus c' est diffus et
pâle); en Chine, et c' est dû à
l' utilisation de la technique à l' Encre
de Chine, le plan moyen est plus contrasté que
la réalité, donnant notamme nt aux montagnes,
une densité de présence dramatique, proche
de celle une véritable personne en lien avec le
culte des ancêtres; visuellement, on a souvent la
sensation en regardant les encres chinoises,
que les plans de perspective sont empilés les uns
sur les autres; De même dans la perspective de ce
tableau, un élément est construit ainsi
: ce nuage là, car il est aussi le profil du volcan
Teide, et on peut y voir donc une montagne qui émerge
du lointain, presque démesurée et menaçante;
et ce saut d' un type de perspective à l'
autre, accentue la conscience d' abstraction.
-Maintenant, lorsque l' on continue à relever
le regard, le bleu initialement turquoise a complètement
viré à un outre-mer profond; c' est
la Couleur du Ciel Nocturne, et de près, on voit
toutes les infimes paillettes métalliques qui brillent
de mille nuances de bleuté, de turquoise, de violet
minéral..., mais cet Outremer est aussi, lorsque
nous avons traversé les dernières couches
de notre athmosphère, la Couleur de l' Espace,
et chaque paillette est alors une étoile)
Ainsi, nous connectons l' infiniment proche et l'
infiniment lointain, et nous touchons du doigt l'
Espace Celeste. Et cette proportion osée du 1/10,
9/10 accentue cette sensation d' incommensurable Vastitude,
avec cette Aspiration vers l' Immensité, ou
plutôt devrais-dire, Aspiration à appréhender
l' Immensité.
Maintenant, ajoutons à nos 3D perspectifs, une
4ème dimension, comme si nous étions également
en apesanteur: vous volez et regardez en bas; vous avez
une lecture en vue aérienne: - vous avez un long
rivage, avec des plages de sable clair, des deltas, des
lagunes avec des bras de sable, des criques...
- ensuite, lorsque l' eau peu profonde et cristalline
recouvre le sable doré, elle prend cette nuance
turquoise incomparable: là aussi, la technique
de superposition de vernis alkhydes intercalés
avec les glacis de nuances turquoises, donne une profondeur
transparente quasi hypnotique;
- la surface de l' eau frémit sous la brise,
une fine écume est sculptée , aussi bien
physiquement que visuellement, et vous pouvez en sentir
la finesse du bout des doigts, en effleurant la toile;
- et dans cette position de vue aérienne, les nuages
que nous avons au dessus de nous, nous les voyons également,
car ils se reflètent à la surface de l'
eau. - Ensuite, les nuances de turquoise r&e acute;vèlent
les bancs de sables, modelés par les courants marins;
Biensûr, si j' avais copié Zao Wou-ki,
j' aurais dessiné ces mouvements avec ces gros
pinceaux en fuseaux, très épais et en crin,
avec des gestes larges, presque fouettés; mais
ma sensibilité vers l' aquatique me pousse
plutôt à déposer le pigment d'
un premier geste ( mais ce doit être le bon) et
incliner la toile dans tous les sens pour que la nature
diffusante de l' eau reprenne ses droits; il y des
choses que seule la nature sait faire. Et c'est aussi
ainsi que la Lumière conserve toute la liberté
de trouver son chemin.
- il nait alors de multiples formes qu' il faut reconnaitre
dans l' instant, les saisir et les fixer en urgence,
soit en stabilisant la course de l' eau, soit en séchant
la zone avec de l' air chaud ( séchoir, décapeur,
chalumeau selon le besoin) C' est ainsi que l'
on peut maintenant voir des marnages, des affleurement
calcaires sculptés par les marées,
- et paradoxalement, plus on monte, plus on descend dans
les profondeurs insondables, avec des
cratères sous-marins, des massifs coraliens ( corail
noir des Canaries) , mais aussi des falaises, des grottes
dont l' obscurité abrite les créatures
des profondeurs aussi étranges que fascinantes.
- rupture d'échelle: Tout comme, en perspective,
la sihouette du Volcan Teide, ancrait une double perception
culturelle; cette même zone peut apparaitre comme
un chapelet d' îles cartographié, induisant
dans notre lecture, un saut d' échelle; nous
obligeant ainsi à être conscient de deux
échelles simultanément;
Voilà, tout ceci est déjà bien complexe,
et rien que pour cela, ce tableau a déjà
une riche force d'attraction et d' abstraction; mais
je vais vous demander un ultime effort: il y a un dernier
élément qui lie l' ensemble, et devient
un excercice de synthèse plus ardu:
-Nous avons ici, une sorte de pluie courbe : sa spécifité
est qu' elle est d' une interprétation
strictement égale: quelle soit perçue dans
l' optique perspective, ou qu' elle soit perçue
dans l' optique vue aérienne:
si vous le voulez bien, essayons de voir cette pluie dans
ce paysage perspectif, comme descendant des hauteurs du
ciel et se diffusant progressivement au travers des nuages
lointains; cela fonctionne tout fait;
maintenant même excercice en vue aérienne
: nous volons et regardons le sol : celle pluie vient
d' au dessus de nous, et tombe vers l' Océan,
l&ecute;gèrement courb&eecute;e par les vents:
cela fonctionne également;
Ainsi, grace à ce pont de pluie, nous pouvons passer
insensiblement de notre position d'
observateur d' une perspective, avec nos pieds bien
posés sur le sol, à cette localisation en
l' air, en vol, avec sa vue aérienne;
Quelle sensation pourrait être plus abstraite que
de se sentir consciemment en deux endroits différents
simultanément ?
Personnellement, je le mets en lien avec certains témoignages
de Mort Imminente, où certaines personnes disaient,
' je suis moi, mais je suis aussi au dessus de mon
corps '
Je crois que dès lors que l' on conçoit
la Dualité du Corps et de l' Esprit, concevoir
que l'on ne peut être qu' en un seul endroit
de l' Espace en même temps, est dû à
la nature matérielle du Corps, mais que l'
Âme n' a pas cette limite ;
et je dirais que ce tableau, est, en quelque sorte, une
interrogation sur la Nature de 1' Âme, indépendamment
des limites du Corps.